Garde alternée

La garde alternée en Suisse

La terminologie « garde alternée » elle-même n’a fait son apparition dans le Code Civil que depuis le 1er janvier 2017. Cependant dans la pratique la garde alternée existait auparavant car des parents la mettaient en place eux-mêmes et elle était également prononcée par les juges, sans pour autant être nommée ainsi.

La garde alernée en Suisse ne représente actuellement qu’un peu moins de 15% des jugements, contre 21% en France, 30% en Espagne, 40% en Belgique et 70% en Suède. 85% des pères en Suisse ne voudraient-ils pas ou ne seraient-ils pas capables d’une garde alternée ? La réalité est évidemment que beaucoup en sont privés et en souffrent.

Le modèle familial traditionnel ayant de moins en moins cours, les lois et pratiques doivent s’adapter aux nouvelles configurations familiales et modes de vie. La garde alternée est la meilleure formule de garde. Elle gagne progressivement du terrain en Suisse comme ailleurs. Elle doit devenir la règle (motion parlementaire 22.4000 de Marco Romano acceptée par 112 voix pour et 42 voix contre, par le Conseil National le 25 septembre 2023) et la garde à l’un des deux parents doit être l’exception justifiée.

(Interview de Patrick Robinson (porte-parole de la CROP, sur la RTS 1, La Matinale, minutes 2’ à 3’20’’, 25 septembre 2023)

L’étude du DFI/OFAS (2012) démontre que, dans le Canton de Berne, pour les 9.6% de ménages avec enfants (de moins de 18 ans) qui pratiquent une garde partagée après séparation/divorce, la situation financière des mères est sensiblement meilleure que parmi les mères ayant une garde unique. (« La situation économique des ménages monoparentaux et des personnes vivant seules dans le canton de Berne », Département fédéral de l’intérieur / OFAS, 2012). Bien que les détails des liens de causalité de ce constat ne sont pas établis, mis à part que les mères dans ce cas de figure sont mieux insérées dans le monde du travail, plusieurs explications sont possibles mais vont dans la direction qu’une répartition mieux partagée des tâches professionnelles et familiales post-séparation sont un avantage pour tous.

En octobre 2022, portée par le politicien et avocat valaisan Sydney Karmezin, et appuyé entre autres par la CROP et GeCoBi, l’initiative parlementaire « Favoriser la garde alternée en cas d’autorité parentale conjointe » a été acceptée par les commissions juridiques des deux chambres. Elle est ainsi envoyée directement à l’administration fédérale qui rédigera un projet de loi sans passer par un débat en plenum.

«Dans ma proposition, précise le Valaisan, il s’agit de laisser tout de même une marge de manœuvre au juge en fonction du contexte. Mais dans la loi qui va être rédigée, il y aura des propositions pour aller plus loin, c’est-à-dire que la garde partagée soit érigée en principe avec des exceptions, comme c’est le cas dans d’autres pays. Au final, cette initiative est clairement dans l’intérêt des enfants, afin qu’ils gardent un contact régulier avec leurs deux parents»

(Sidney Kamerzin)

Cette évolution récente consacre un travail de plus de 25 ans auquel nos associations ont collaboré avec pour objectif de faciliter l’adoption plus large du mode de garde le plus favorable aux enfants.

Entretien débat de Me Sidney Kamerzin, du MCPVs et de la CROP (49 minutes)

La position des tribunaux sur la garde alternée

Le Tribunal Fédéral (TF) a rendu un jugement significativement favorable à la garde alternée. Il s’agit de l’arrêt 5A_888/2016 du 20 avril 2018 (en allemand). Voici quelques extraits et considérants (en allemand) de ce jugement du Tribunal cantonal de Bâle-Campagne, validé par le TF et ces mêmes extraits et considérants traduits librement en français. 

« Tout particulièrement [dans le cas d’une garde alternée], au vu des connaissances actuelles des recherches en sciences sociales, les enfants qui n’auraient ainsi pas à se décider en faveur de la mère ou du père souffriraient moins de tiraillements (conflit de loyauté), de peur de perdre un proche, de sentiments d’abandon ou de rejet ». 


« De pouvoir passer plus de temps avec chacun des parents dans le cadre d’une garde alternée aurait pour effet de créer une relation affective parent-enfant plus étroite et améliorée avec les deux parents. Une relation meilleure et plus étroite au père ne se ferait nullement au détriment de la relation à la mère ». 

Nous portons également à votre connaissance l’interview du juge fédéral Nicolas von Werdt ((Tagesanzeiger, 14 mars 2017) qui s’exprime lui-aussi clairement en faveur de la garde alternée.  

Pour autant, les critères selon lesquels les tribunaux accordent ou refusent une garde alternée nous semblaient peu clairs : dans des situations familiales assez similaires, la garde alternée est parfois accordée, parfois refusée. Il en résulte une inégalité de traitement et une incertitude juridique qui pose problème. La CROP a mandaté Mme Gentiane Schwarzer pour faire une analyse de la jurisprudence du Tribunal fédéral concernant la garde alternée. La revue identifie que, même au niveau du Tribunal fédéral, il y a deux approches distinctes relatives à l’évaluation du « bien de l’enfant » : l’une, dominante et « conservatrice », la seconde plus « prospective / dynamique ». Revue de la jurisprudence fédérale sur la garde alternée (janvier 2022).

Les bienfaits de la garde alternée

GeCoBi  (Association Suisse pour la Coparentalité) à l’occasion de ses 10 ans a publié une brochure sur la garde alternée qui en démontre les bienfaits pour les enfants et demande son application par défaut dans les séparations en Suisse. Extraits:

« En 2018, Prof. Dr Linda Nielsen, Professeure en psychologie de l’adolescent et de l’éducation, a publié une analyse critique de 60 études rédigées en anglais qui comparaient le bien-être des enfants en garde alternée avec celui des enfants en garde unique. Elle a porté une attention particulière à l’influence du revenu familial et des conflits parentaux. L’analyse a montré que les enfants s’en sortent mieux en garde alternée, et ce indépendamment du revenu familial, de l’état de la coopération et des conflits entre parents. »

« Un appel spécial a été adressé, entre autres, au pouvoir législatif suisse le 2 octobre 2015. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adopté à l’unanimité la résolution 2079 sous le titre  » Egalité et coresponsabilité parentale : le rôle des pères » .

« 5.5 […] introduire dans leur législation le principe de la résidence alternée des enfants après une séparation, tout en limitant les exceptions aux cas d’abus ou de négligence d’un enfant, ou de violence domestique, et en aménageant le temps de résidence en fonction des besoins et de l’intérêt des enfants … »


« 5.7. […] prendre en compte le mode de résidence alternée dans l’attribution des prestations sociales « .
Les recommandations du Conseil de l’Europe se basent sur les résultats de la recherche internationale et sur des auditions d’experts, qui ont aussi pris en compte l’évolution de la situation dans les Etats membres et dans d’autres pays. L’adoption à l’unanimité de cette résolution, notamment avec les votes des membres suisses, prouve que les avantages de la garde alternée pour les enfants et les parents ont déjà été reconnus au niveau international. »

Notons finalement qu’en Suède environ 30% des adolescents de parents séparés partagent leur existence entre les deux domiciles parentaux. Les comportements à risque des adolescents s’avèrent les moins élevés lorsqu’ils vivent dans une famille intacte, légèrement plus élevés lorsqu’ils vivent une garde partagée, et considérablement plus élevé lorsque sous régime de garde unique (“Risk behaviour in Swedish adolescents: is shared physical custody after divorce a risk or a protective factor?” Carlsund A. et al. (2012) In: The European Journal of Public Health, Oxford)

Par ailleurs, relevons qu’aux Etats-Unis, les États qui avaient introduits la garde partagée au début des années 90 ont vu le taux des divorces reculer considérablement, comparativement aux États où la garde partagée est rare (« Child Custody Policies and Divorce Rates in the United States” Kuhn R. et J. Guidubaldi (1997)). Une étude plus récente (The effect of joint custody on marriage and divorce, Martin A. (2009). IZA Discussion Paper No 4314, Bonn.) démontre que l’introduction de la garde partagée a mené à une augmentation durable du taux de mariage, ce qui s’explique par une incitation plus élevée pour les hommes à se marier, due à la garde partagée.

Les méfaits de la privation d’un parent

Voici un article en anglais, de Vittorio Carlo Vezzetti publié sur le site de l’ « US National Library of Medicine National Institutes of Health » qui résume de manière assez exhaustive les résultats de dizaines d’études scientifiques réalisées dans un très grand nombre de pays ces dernières années. Il s’agit de mesurer les conséquences néfastes sur les enfants de la privation d’un parent  (santé mentale, stress, dépression, taux de suicide, troubles de l’alimentation, obésité, troubles psychiatriques, addiction aux drogues, alcoolisme, …) Ces conséquences néfastes de la privation d’un parent méritent d’inscrire ce débat dans le cadre d’une politique de santé publique responsable. Résumé: 

« This broad review elaborates on the most up-to-date knowledge on biochemical and psychobiological aspects of parental loss and other childhood adversities during divorce involving minor children. So far, divorce involving minor children was unfortunately considered by authorities only as a purely juridical problem, and this approach has often allowed a completely different approach according to the Courts. Now, scientific research, also making use of animal models, is demonstrating the biological basis of the problem and the indisputable consequences on the well-being and health of children. The innovative conclusion of this review is that this argument (because of its frequency and gravity) is primarily a question of public health and that it is necessary to further harmonize practices in this area. » 

La garde alternée au quotidien

La question du partage de temps des enfants après la séparation de leurs parents est fortement teintée idéologiquement. Nombreux s’expriment sans connaître la réalité vécue par les intéressés, notamment les enfants. Nous avons souhaité donner la parole à une clinicienne, la Dresse Séverine Cesalli (Psychiatre, psychothérapeute d’enfants et d’adolescents, FMH) qui recueille quotidiennement la parole des enfants.

La conférence débat (« Papa Café » organisé par Père Pour Toujours Genève) du 7 mars 2018, a abordé les questions du bien de l’enfant, de la construction de sa personnalité après la séparation de ses parents, du bien-être relationnel entre les parents, du bénéfice sur l’enfant de leur épanouissement d’adultes, du temps de partage idéal pour l’enfant, des conseils pratiques pour la mise en place d’une garde alternée qui fonctionne bien pour les enfants selon leur âge …

Quelques extraits:

« La garde alternée n’est pas un but en soi, mais une conséquence naturelle d’un fonctionnement parental préservé/restauré » 


 « Les changements de lieu de vie sont difficiles à vivre, mais généralement moins nocifs que le manque d’un parent » 


« Plus l’enfant est petit, plus il a besoin de stabilité environnementale, de routine, de prévisibilité, de maintien continu des relations primaires ET plus il a besoin de temps de séparation court avec les figures principales d’attachement » 

La présentation est téléchargeable ici. Elle comporte de nombreux conseils intructifs relatifs à la mise en place de la garde alternée. Retenons notamment la fréquence idéale de passage de l’enfant du papa à la maman et de la maman au papa :

« Le temps de séparation récurrent de chacune des figures d’attachement principales ne devrait pas excéder en jours l’âge de l’enfant en années, pour la préservation de l’attachement réciproque »

Exemple : un enfant de 2 ans de devrait pas passer plus de deux jours avec sa mère avant de retrouver son père et également pas plus de deux jours avec son père avant de retrouver sa mère. Autrement dit, plus les enfants sont jeunes, plus les passages d’un domicile à l’autres sont nombreux sur une même période (des domiciles proches sont alors souhaitables). C’est la spécificité de la garde alternée pour les petits qu’il est très important de prendre en compte pour en assurer le succès passant par le bien-être des enfants.

Il n’est pas rare, au moment de l’exposé des arguments sur la garde auprès d’un juge, que soit mis en avant l’avantage « pratique » pour l’enfant à se retrouver auprès d’un des parents (pour éviter les ruptures). Au regard de ce qui précède, cet argument, qui est pourtant l’argument principal et classique d’une garde exclusive, apparaît comme une approche à court-terme. La garde alternée, même basée sur une succession rapide des changements de lieu de vie, est bien plus porteuse sur le long terme pour l’enfant, le préservant psychologiquement en maintenant un lien suivi avec les deux parents, notamment au plus jeune âge.

Les actions de la CROP en rapport avec la garde alternée :

(Interview de Patrick Robinson (porte-parole de la CROP, sur la RTS 1, La Matinale, minutes 2’ à 3’20’’, 25 septembre 2023)

 

En savoir plus :

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